LA BLESSURE D'ABANDON
- Isabelle Colleoni
- 9 oct.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Il y a, au fond de presque chacun de nous, une peur ancienne : celle d’être laissé seul.
C’est une peur qui ne parle pas seulement du présent, mais d’un écho lointain, celui d’un moment où nous avons senti — ou cru sentir — que l’amour ou la présence de l’autre pouvait disparaître.
Le sentiment d’abandon n’est pas toujours lié à un événement précis. Il naît souvent dans les premiers liens, quand le bébé dépend entièrement d’un regard, d’une voix, d’un corps qui rassure.
Quand ces présences manquent, même brièvement, quelque chose s’imprime en profondeur : la possibilité que l’autre puisse partir.
Cette angoisse primitive — celle de perdre l’objet d’amour, comme le dirait la psychanalyse — peut ensuite se réveiller à chaque fois qu’une absence, un silence, ou une distance se présente.
L’abandon réel et l’abandon ressenti
Dans la vie adulte, nous pouvons vivre des séparations bien réelles : une rupture, un décès, un éloignement.
Mais parfois, le sentiment d’abandon se réveille même sans qu’il y ait de perte concrète.
Une parole manquée, une indisponibilité, un message qui tarde à venir… et l’esprit replonge dans une douleur ancienne, disproportionnée par rapport à la situation présente.
Le corps et l’inconscient réagissent comme si le lien vital était à nouveau menacé.
Dans ces moments, on ne souffre pas seulement de l’absence de l’autre : on souffre de la mémoire de toutes les absences.
Les défenses du cœur
Face à cette douleur, chacun trouve une manière de se protéger :
- Certains cherchent à tout prix à se rapprocher, à retenir l’autre, à ne plus jamais être seul
- D’autres préfèrent ne plus s’attacher, pour éviter d’être blessés à nouveau.
Ces stratégies ne sont ni faibles ni maladives : ce sont des tentatives d’adaptation, des gestes de survie psychique.
Mais elles enferment parfois le sujet dans un cercle de répétition : on rejoue sans le vouloir le même scénario d’abandon, encore et encore, espérant secrètement un autre dénouement.
Ce que dit la psychanalyse
La psychanalyse nous invite à écouter ce que l’abandon réveille, plutôt qu’à le fuir.
Car derrière cette douleur se cache souvent une demande d’amour primordiale, celle d’un enfant intérieur qui n’a pas été pleinement entendu, ou dont la sécurité affective a vacillé.
Rencontrer ce vécu, dans la parole et la relation thérapeutique, permet de mettre des mots là où il n’y en avait pas, de transformer la solitude en expérience symbolisée.
C’est dans le transfert — cette relation vivante entre patient et thérapeute — que se rejoue et se répare, lentement, la confiance perdue.
Vers la réparation intérieure
Guérir du sentiment d’abandon ne signifie pas ne plus jamais avoir peur de perdre.
Cela veut dire apprendre à rester présent à soi-même, même quand l’autre s’éloigne.
C’est découvrir qu’en soi, il existe un espace d’amour et de sécurité qui ne dépend plus exclusivement de l’extérieur.
Petit à petit, on apprend à :
- Reconnaître quand la blessure ancienne se réveille,
- La consoler plutôt que la juger,
- Et construire des liens plus libres, moins dictés par la peur.
Là où l’abandon régnait, peut naître un sentiment nouveau : celui d’exister par soi, avec l’autre, mais pas seulement grâce à lui.
En conclusion
Le sentiment d’abandon n’est pas une faiblesse.
C’est la trace d’un amour tellement vital qu’on a eu peur, un jour, de le perdre pour toujours.
Le travail psychique consiste à lui redonner une place, à transformer cette peur en conscience, et cette douleur en capacité d’aimer autrement.



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